Beauté

'Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.'

(Charles Baudelaire)

mardi 4 mai 2010

La dureté des principes




Xavier arriva ponctuellement pour l'ouverture de la grille de la vaste demeure. Comme tous les lundis, il avait rendez-vous avec Mademoiselle pour une leçon de violon. Cela faisait un an aujourd'hui qu'il offrait ses services à cette famille d'anciens nobles et monstrueusement nantie. Les premiers mois, il serrait les dents pour ne pas hurler sa révolte face à tant de luxe. Sa rage venait de son enfance quand il devait fréquenter l'académie avec des pantalons rappés et des chemises tout aussi usées par les lavages. Ses parents n'étaient que de simples ouvriers. Ils s'étaient saigné toute leur vie pour acquérir un logement petit mais propret, pour offrir à leur fils unique la meilleure instruction et cette académie de musique qui était son unique divertissement. Le tennis aurait été au-dessus de leurs moyens. Avec le temps, Xavier fit table rase de ses états d'âme et se confina à son rôle de professeur. Mademoiselle, Elise de son prénom, avait alors quinze ans. Élancée, une chevelure rousse et bouclée, des yeux verts de chat sauvage changeant suivant les remontrances de son enseignant, elle était le prototype parfait non seulement des adolescents mais aussi des gosses de riches, des filles à papa.
Un an déjà. Trois cent soixante-cinq heures musicales tantôt pénibles, tantôt sublimes. Elle avait fait d'immenses progrès.  Elle avait mûri et abandonné beaucoup de la rébellion de ses quinze ans. Xavier, le doigt sur la sonnette, se prit à sourire. Il l'aimait bien finalement. Du moins, c'est ce qu'il se forçait à croire. Il ne voulait pas donner raison aux nuits où il se réveillait en sueur quand il avait rêvé d'elle. Il sonna. Par dessus le grillage, volaient les notes d'un prélude de Bach. Son front transpirait légèrement. Des pas crissaient sur le gravier: le majordome sans aucun doute! Encore quelques minutes lui restaient pour reprendre l'air digne du professeur. Il ramenait une de ses longues mèches vers l'arrière quand le portail s'ouvrit. Alors que son regard était pour l'état de ses chaussures, il dit automatiquement:

-'Bonjour, monsieur Charles'.

Une voix suave lui répondit:

-'Bonjour, Xavier'.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il releva la tête. Elise était là dans toute sa splendeur de femme naissante. Son parfum envahissait l'air environnant. Malicieuse, elle répéta:

-'Bonjour, Xavier.'

-Hmm,hmm .. Bonjour Mademoiselle Elise. Vous m'avez surpris. Veuillez excuser mon manque de politesse. J'ai l'habitude de trouver monsieur Charles.'

- Je sais, murmura-t-elle. Mais aujourd'hui est n'est pas un lundi ordinaire.

- .......

- Vous êtes malade, Xavier ? Vous êtes si pâle.

- Non, non. C'est que...Peu importe. Allons-y, l'heure tourne.

- Désolée mais il n'y aura pas de leçon. Venez.

- Que se passe-t-il ? Vous désirez arrêter le violon ? Vous n'avez plus besoin de moi ?

- Voulez-vous arrêter d'être stupide et me suivre. Nous gagnerons, en effet, beaucoup de temps.

Elle marcha devant lui. Il ferma la grille avec application, tourmenté par la tournure des événements. Que cogitait cette magnifique gazelle ? Il s'en voulut immédiatement à cette pensée et hâta le pas.
Elle avançait dans un déhanchement naturel, sûre d'elle. Elle avançait vers le patio. Du regard, Xavier chercha un habitant qu'il aurait pu saluer. Cela aurait été rassurant. Personne. La villa semblait déserte. Où était donc le majordome, le jardinier, le chat, bref tous ceux qui étaient toujours là tous les lundi.

- J'espère que cela ne te dérangera pas si nous profitons de ce temps magnifique en buvant une tasse de thé ? lui dit-elle tout en continuant tranquillement vers le petit espace entouré de roses anciennes, caché de tout regard.

- Non, bien sûr , répondit-il en reprenant un peu d'assurance. (Il fallait qu'il reprenne le contrôle.)

Le patio n'était plus qu'à deux mètres. Difficile de rétablir l'ordre naturel des chose en une si courte distance. Elise fit un pas de côté et lui montra la chaise de sa main fine et blanche. Une table, deux tasses, quelques feuilles griffonnées sans doute par le stylo abandonné sur elles. Était-ce la résiliation de son contrat ? Il l'espéra et le craignit tout à la fois.

- Assieds-toi, Xavier. Je vais chercher le thé. Tu prendras du citron?

- Oui, je crois.

- Du sucre, du lait ?

- Comme vous voulez, Mademoiselle.

-Arrête donc de m'appeler Mademoiselle. C'est ridicule.

Elle s'éloigna sur ses paroles déconcertantes. Xavier sentait qu'il allait  vivre un moment terrible. Pourquoi et comment, peu importait. Il se maudit de ne pas avoir été malade, audacieux ou ferme. Quel imbécile était-il pour ne pas remettre les rôles en place. C'était lui le professeur, c'était lui le maître de musique. Voilà bien où le bât blessait. L'ampleur de ses pouvoirs de maître s'arrêtait à la musique. Elise devenait la maîtresse de tout le reste, même de son cœur qui battait la chamade. Il se maudit d'être aussi stupide qu'un acteur de série rose. Il pestait d'être aussi minable. Il savait surtout qu'il était perdu. Elise revenait avec un plateau. Sa robe de coton blanc flottait dans le vent printanier. Il entrevoyait ses longues jambes. Ses cheveux caressaient ses épaules fragiles. Un petit sourire maquillait ses lèvres roses. Mon Dieu, qu'elle était belle. Mon Dieu, pourquoi nier qu'il était bel et bien amoureux.

-Voilà. Enfin nous allons goûter ce matin merveilleux. Tu ne trouves pas qu'il aurait été dommage de s'enfermer dans la salle de musique ? Particulièrement aujourd'hui.

- Que voulez-vous dire? souffla-t-il lamentablement.

- Ne me dis pas que tu as oublié qu'il y a exactement un an que nous nous connaissons?  Je ne pourrais pas croire que toi, si précis, ait oublié une telle date.

- Pardonnez-moi, je ne pensais pas que c'était important, mentit-il.

- Cesse donc de me vouvoyer, veux-tu? Tu sais comme moi, que nous n'en sommes plus là. Tu crois que je n'ai pas remarqué tes yeux quand je joue. Penses-tu que je suis une petite dinde stupide, une gamine de seize ans insensible? Es-tu convaincu que je ne suis qu'une petite snob ?

- Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je suis votre professeur, vous êtes mineure. Je me dois...

Elle le coupa.

- Tu te dois d'être sincère. Voilà 'mon' principe. Je sais parfaitement tout ce que tu as évoqué. Je suis au courant du risque que tu encourrais. Mais je me refuse de nier l'évidence. Si tu n'as pas le courage de parler, je vais le faire à ta place. C'est d'une simplicité : je t'aime. Pourquoi tourner autour du pot et attendre que la mayonnaise prenne?

Xavier se sentit mal. Elle n'avait que seize ans. Elle était belle à damner un saint. Il l'aimait. La loi existait. Ses parents, ils les imaginaient. Il était lucide, lui. Il fallait arrêter ce jeu immédiatement. Élise  lui versa du thé, et en se penchant dans ce geste naturel, lui toucha les lèvres furtivement.
Tous les beaux principes s'envolaient. Les mots ne sortaient plus. Xavier fixa la tasse, prit la cuillère et tourna le thé mécaniquement. Il n'avait plus de force. Il devait en trouver. Il posa la tasse, saisit une des feuilles griffonnées et le stylo.
Sans lever la tête, il se mit à écrire:
' Je soussigné, Xavier D., déclare par la présent mettre fin au contrat de professeur de musique auprès de Mademoiselle Élise X.'
Il prit une autre feuille. D'une écriture minuscule, il gribouilla ses mots: 'Viens en dehors du jardin, au bout de la route. Ma voiture attendra.'
Il tourna les feuilles vers elle. Élise lut, sourit, signa la première et lui rendit la deuxième. Il l'empocha, se leva et d'un pas rapide se dirigea vers la grille, cueillit une rose. Il sortit sans bruit et sans se retourner, alla jusqu'à sa voiture, mis le contact et partit. Il suivit 'ses' principes.

5 commentaires:

  1. Merci ! Moi j'écris une suite :) une parmi tant d'autres...

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  2. ouiiiiiii la suite !! c'est quand ???

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  3. Hélas, hélas, deux de mes textes ayant été mis en ligne par les animatrices, puis retirés, aucun de mes commentaires ne passant plus le barrage de la modération, je crains que le Blog à 1000 mains ne soit pas tout à fait ce grand rassemblement communautaire d’auteurs et de texte dont on pourrait se félicitez, mais un endroit où des textes et des auteurs peuvent être censurés sans qu’on use de la plus élémentaire des politesses, consistant à les en informer ni qu’on connaisse les raisons de cette censure. Les détails sur mon carnet.
    Jimidi

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  4. Le commentateur aigri et venimeux qui signe JIMIDI est tout simplement en train d'inonder le web, depuis ce matin, avec le message dont tu as un spécimen ci-dessous, sous prétexte d'informer (??) les autres auteurs du Jeu à 1000 mains de sa mésaventure. Il veut surtout porter le discrédit sur les responsables du jeu. Il m’accuse aussi d’être l’instigatrice de cette triste histoire.

    A la fin de la journée, il aura distribué ce même message sur les blogs de tous les auteurs qui ont participé aux jeux. Le mieux est de n’y prêter aucune attention et j'espère bien te retrouver sur les 1000 mains en juin pour une nouvelle aventure d’écriture.

    Bon dimanche

    Lise
    http://lise2cc.wordpress.com

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