Beauté

'Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.'

(Charles Baudelaire)

mercredi 5 mai 2010

La dureté des principes 3

 Chapitre 3




Xavier s'étonna du silence. Pourquoi étaient - ils tous partis ? Deux ans ? Deux ans ! Il devait être en plein cauchemar. Nom de Dieu pourquoi avait-il tant de difficultés pour bouger ? Pourquoi, quand il essayait de pianoter quelques notes imaginaires ressentait-il une telle souffrance ? Pourquoi ses paupières n'arrivaient-elles pas à se soulever ? L'accident ! Soudain un petit bruit, celui de tous les jours, balaya l'impression de douleur. Il perçut le son métallique des  pieds d'une chaise que l'on avance avec précaution et qui pourtant ne parvient pas à se faire silencieuse. Puis, enfin, sa voix. Sa voix, moins assurée que celle du matin dans le jardin. Élise était là. Elle allait lui tenir compagnie. Lui raconter sa journée. De temps à autre, il glissait une question, mais elle les ignorait toutes. Décidément, personne ne voulait l'écouter. Xavier le lui pardonnait, pas aux autres.

- Bonjour, toi ! Comment vas-tu aujourd'hui ?

(Comme tous les autres jours, chère Élise. Sans vue, sans voix, sans corps valide pour l'instant.)

- On est à la mi-mai, tu sais. Les rosiers sont en boutons. J'ai bu un thé ce matin, avec du citron.

(Donc je n'ai pas bien compris tout à l'heure. Ce n'était pas de moi qu'on parlait. Les deux ans écoulés c'était pour un autre ? Je ne suis donc pas seul dans cette pièce. )

- Ensuite, je suis allée en cours. J'ai séché le dernier; ce n'est pas une matière importante. Je voulais passer un peu plus de temps avec toi. Si tu voyais comme tes cheveux sont beaux. Ils ont poussé. Attends, je vais les peigner. Tu sens comme on est mieux avec les cheveux soignés ? Si tu pouvais lever un peu la tête, je les attacherais. Je ne t'aurais jamais imaginé avec des cheveux longs. Toi, toujours si classique....

Son petit rire discret réchauffa Xavier. Il lui paraissait comme une cascade cristalline.

- (Non je ne sens rien de différent; je ne sens pas votre main, pas plus qu'hier en tout cas. Mais continuez, j'arrive à l'imaginer. Je vois vos doigts longs, votre poignet fin. J'arrive même à entrevoir le galbe de votre sein. Dieu, que ça fait mal. Arrêtez.)

- Hier soir, j'ai joué une heure. Je ne passe pas un jour sans faire d'exercices. J'ai un nouveau violon. Je vais demander si je peux l'amener.  Ce serait bien que tu écoutes un peu de musique. Et puis je dois être au top pour ta sortie. J'ai lu que ça peut être long mais inattendu. Je parle de ton réveil, bien sûr. Je sais que tu m'entends. Ils peuvent me répéter que tout ça est inutile, moi je sais que se sont des ignorants. Ils leur manquent à tous une spécialisation: l'espoir.

- (Donc, je dors. Pour tous sauf pour vous, je suis inconscient ? Je suis dans le coma, ça je l'ai compris. Et j'entends tout. Vous êtes la seule à comprendre. Pourquoi ne répondez-vous jamais à mes questions ? Croyez-vous que je n'aimerais pas les réponses ?)

- Ah, oui, tu sais, l'enquête avance. Le chauffeur du camion passe devant le tribunal dans trois mois. Les assurances, les experts, les contre-experts que mes parents ont engagé se sont enfin mis d'accord: il endossera tous les torts. Si tu n'avais pas fait l'idiot, si tu m'avais attendue comme tu l'avais promis, tu ne serais pas ici. On serait dans ma chambre.

Il sentit son souffle devenir plus court, puis quelque chose de frais sur ses lèvres. Elle lui donnait à boire probablement. C'était tellement bon mais tellement peu.

- J'arrête. On ne sait jamais. Dans le doute abstiens-toi, Élise. Cela n'est pas correct quand ce n'est pas partagé. Tes parents m'ont dit qu'ils viendraient en train ce week-end. Ils s'en veulent, tu sais, de ne pas te rendre visite plus souvent.

- (Élise, pourquoi ne me dites-vous jamais depuis combien de temps je suis ici. Mi-mai, avez-vous dit tout à l'heure. Donc une quinzaine de jours ?)

- Passons aux choses sérieuses maintenant. Le monde est en pagaille. C'est la crise partout. Le pétrole augmente tous les jours. Il y a des manifestations un peu partout dans le pays. Les métallos sont furieux. On prévoit des licenciements en masse. Ton père pense accepter la mise à la retraite anticipée. De toute manière, il l'a bien méritée. Ta mère, elle, n'est pas de cet avis. Ils sont tellement mignons, ces deux-là. Tu crois qu'on s'aimera encore autant après trente ans de mariage ?

- (Mariage ? Élise, vous n'avez pas compris ? Vous et moi, c'est impossible. Vous êtes mineure. Je ne suis qu'un petit professeur de musique. Vous êtes vouée à un grand avenir et moi pas prêt pour une telle aventure.)

- Tu verras, bientôt tu ouvriras les yeux. Même si tu ne marcheras pas dans les premiers temps, on pourra quand même se toucher un peu mieux. Les baisers seront de vrais baisers.

La porte coulissante du sas s'ouvrit. Une infirmière portait sur un plateau une poche contenant un liquide transparent. Elle venait changer la perfusion. Élise se leva. Elle savait qu'il fallait s'en aller. L'heure des visites était terminée. Cela passait trop vite. Demain elle reviendrait.

- Bonjour, Mademoiselle, dit l'infirmière. Vous êtes magnifique dans cet ensemble noir. Vous sortez ce soir ? Vous avez raison! Il faut en profiter quand on est jeune.

- Bonjour, Madame. Comment va-t-il aujourd'hui ? Dites-moi qu'il y a une amélioration ainsi je m'en irai heureuse.

- Son état est stable. Aucun changement signalé. Vous savez qu'il est l'heure n'est-ce pas. Je vous laisse le saluer avant de procéder aux soins.

Élise s'approcha du lit et caressa les cheveux de Xavier en lui souhaitant une bonne nuit.

- ( A demain, Élise. Si tu voulais m'apporter un thé, je serais ravi de le boire avec toi.) Il esquissa un petit sourire amer, enfin crut l'esquisser.

La voix neutre de l'infirmière lui signala qu'elle n'était déjà plus là.

3 commentaires:

  1. L'autre jour j'avais lu le premier chapitre sur Jeux d'écritures. Et j'ai adoré.
    Là je viens comme ça, et en visitant ton blog j'ai vu l'image du jeux. Et rien qu'en lisant le début, je me souvenais de tout. Alors j'ai lu les deux autres chapitres. Et j'en veux un quatrième !!! C'est vraiment très bien écrit et on rentre tout de suite dans le contexte de l'histoire. J'adore.

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  2. Je te remercie Céline. Il y aura sans aucun doute une quatrième partie. Elle est en gestation. Ce qui est incroyable avec ce jeu, c'est le fait que je me suis laissée emportée par le cours du sujet.

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  3. Qu'il se réveille!! Je veux une jolie fin!!
    En tout cas, c'est vraiment beau qu'elle vienne le voir tous les jours, pfiou... Je file lire la suite :)

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